lundi, février 11, 2008

Cris/Scream/Munch/Bacon




N'hésitez pas à cliquer sur les images, sinon à quoi ça sert que je me décarcasse!
Je préférerais qu'elles grossisssent lorsque l'on passe pardessus avec le curseur, mais Blogger ne le permet pas, dommage.



























Sourire.


On n’a plus le droit de sourire dans le photomaton pour une photo de carte d’identité !
Le visage doit être sans expression, sans lunette, sans cheveux qui tombent sur le front, on doit pouvoir reconnaître la personne en question immédiatement.
Peut-être qu’il ne faut plus sourire sur l’identité de la photo parce que les gendarmes et les douaniers ne veulent plus voir des petites photos qui sourient alors que la vraie tête fait la gueule du type qui a fait une connerie ce jour de contrôle d’identité.

Pleurs.




Picasso a beaucoup peint Dora Maar sa compagne d’une époque. Il l’a peinte toute pimpante et guillerette, mais à la fin de leur liaison, elle est peinte en pleurs cassés.
Il y a des peintres qui n’ont pas aimé que leurs modèles sourient en face d’eux alors que pour eux ça gazait pas ce jour-là; ils les ont donc peints mélancoliques, tristes, apeurés, en pleurs ou en train de pousser le pire cri que l’on puisse pousser de sa vie excepté celui de la naissance.

Cris.




C’est sans doute Edvard Munch qui a battu les records avec un tableau qui dit bien ce qui est à voir même si on n’a pas la peinture d’Oslo sous les yeux : «le Cri.»
Le cri de Rodin est en troisième position derrière le cri de la chair de Francis Bacon.



Gonzalez un sculpteur espagnol compatriote de Picasso a lui aussi crié ; un masque en métal dont la bouche a été traversée comme par un chalumeau.
Il y a d’autres artistes qui ont crié des oeuvres, mais peut-être pas aussi fortes que ceux-ci.





Le tableau de Munch que personne ne mettrait dans son salon de réception est un des portraits les plus connus dans le monde après La Joconde si l’on excepte les Vierges et Enfants Jésus peints par tous les barbouilleurs de plus ou moins de talent qui ont eu à cœur ce métier depuis bien avant la Renaissance de Masaccio jusqu’au 19ème siècle.
Ce masque livide en caoutchouc mou qui nous regarde de face entend… ou n’entend plus !… ou entend encore ? … On ne sait pas très bien où en sont les enclumes et les colimaçons de ses oreilles puisqu’il y plaque les mains.
Ce masque livide qui nous regarde fixement entend une sinusoïdale acoustique que nous, spectateurs, n’entendons pas. Ce son semble impossible à ouïr. Le visage en ouvre la bouche et en écarquille les yeux, ça lui creuse les joues, ça le rend tout gondolé. Un son si exceptionnel l’envahit que le paysage dans le fond en est tout ondulé et sanguinolent. La barrière et le pont grossissent par la perspective, ils grandissent comme un son aigu ténu qui s’amplifie jusqu’à sortir du cadre du tableau comme un porte-voix.

« J'étais en train de marcher le long de la route avec deux amis, le soleil se couchait, soudain le ciel devint rouge sang, j'ai fait une pause, me sentant épuisé, et me suis appuyé contre la grille, il y avait du sang et des langues de feu au-dessus du fjord bleu-noir et de la ville, mes amis ont continué à marcher, et je suis resté là tremblant d'anxiété, et j'ai entendu un cri infini déchirer la Nature ». Edvard Munch.

D’où provient ce son contendant ? De sa bouche ou du paysage tout entier qui se rebelle et chamboule toutes les couleurs et les lignes?
Si cette peinture était posée dans l’autre sens, tête en bas, on n’y verrait que les reflets dans l’eau d’un bonhomme et d’un ciel irisé sur une légère couche de mazout multicolore. Et l’on ne s’en étonnerait pas vraiment, car l’eau caressée par une bonne brise sait faire des belles ondulations avec les couleurs. À l’envers on accepterait ces ondulations.
Nonobstant, dans le sens où l’on doit raisonnablement regarder cette peinture, on comprend mal que tout soit devenu si guimauve, exceptés la barrière et le ponton qui nous rappellent à l’ordre des vrais charpentiers avec règle, niveau et décamètre.

Scream.


Ce type longiligne et squelettique semble être le héros en cavale des trois films de la trilogie Scream.
Trois films culte pour les amateurs d’angoisse ! Trois films de terreur qui ont incité plusieurs fois de sinistres spectateurs à passer à l’acte dès la dernière bobine. Ça aurait dû leur donner l’exemple pour y réfléchir et ne plus y penser. Il aurait fallu, au contraire qu’ils restent au stade de l’écran qui est une vraie catharsis qu’il suffit largement de vivre sur la toile et ne plus avoir envie de sortir le soir avec des trucs contendants qui rien qu’à les voir en contre jour font mal au ventre ou font liquéfier de trouille celui qui se retrouve en tête à tête, non invité, face à ce masque de carnaval en latex laiteux à la gueule bêlant cinq octaves sans reprendre son souffle.

Un élu, mais aussi père de famille, a demandé "le retrait immédiat de la vente et de la location publique de toute cassette, DVD et autre support média du film Scream". Sa réaction fait suite au meurtre d'une lycéenne de 15 ans, poignardée à mort par un camarade de deux ans son aîné qui déclara lors de son arrestation avoir "décidé de tuer quelqu'un", influencé par le film Scream de Wes Craven.



L'une des répliques de Scream dit ;
"ce ne sont pas les films qui rendent psychopathes : ils rendent juste les psychopathes plus créatifs."
Un avare sort de la pièce « l’Avare » de Molière et dit ; « j’y ai appris de bons préceptes d’avarice! »

Il y a malheureusement possibilité de confondre, « Sream 1-2-3 » qui se joue de la vie des autres, et « le Cri de Munch » qui parle de l’homme humain qui a peur de sa propre vie.
Le héros blême du cri de Munch n’est pas le clown blanc armé du cinéma qui vous cardiaque sur place. Se faire surprendre par cette tête collée sur votre porte-fenêtre est aussi coupe-gorge qu’un décor de film expressionniste de Robert Wiene.



Le type blême de Munch c’est votre propre trouille et non celle de l’autre qui vous guette en pleine nuit que l’on rencontre rarement, Dieu soit loué !
Le type de Munch c’est votre mort… Hé bien celle-là, vous allez finir par la rencontrer en tête à tête.
Munch est gagné peut-être à son insu par la philosophie du Danois Kierkegaard, pour lui la vie de l’homme est un problème qui ne recevra jamais de solution;
« Dieu hait notre existence, affirme Kierkegaard… La destination de cette vie c’est de nous porter au plus haut degré du dégoût de vivre. »
Ça peut donner envie de crier !


Le cri et la chair.


La bouche ouverte du cri traverse l’œuvre peinte de Francis Bacon. Si l’on attribue une place sur le podium à celui qui a le plus crié en peinture, c’est Bacon qui tient le pompon.
Le Centre Pompidou a titré une de ses expositions « Le cri et la chair.»
Son cri vient vraiment de la chair intérieure du corps. Avec Munch, on ne sait pas très bien d’où vient le cri. C’est sans doute une sorte de cri intérieur que l'artiste a essayé de peindre en se représentant lui même. Quel que soit le cas, cri de la chair ou cri psychique, on ne l’entend pas… La peinture ne s’y prête pas.

Le Christ brisé de Grünewald murmure en fin de course dans la nuit ;
« Mon Dieu, Mon Dieu pourquoi m’as-tu abandonné ! » On ne l’entend pas moins fort que l’homme du ponton de Munch… On n’entend jamais rien en peinture alors que ça discute souvent de partout sur les toiles.

Le bonhomme longiligne de Munch se bouche les oreilles ce qui expliquerait en partie que nous n’entendions rien, mais nous ne sommes pas à sa place, nous sommes en face, devant le tableau en face de l’homme, sur le ponton nous aussi avec nos oreilles bien débouchées.
Le bonhomme est sans doute Munch lui-même, c’est une sorte d’autoportrait Psychologique, il allait mal en 1893…
Physiquement, il était beau garçon, certes une beauté un peu sévère qui attirait les femmes, mais lui en restait éloigné, il en a toujours eu peur.
Edvard Munch, n’a pas eu de pot dans sa jeunesse sa mère et sa sœur sont mortes de la tuberculose sans crier gare et son père était d’une obsession religieuse à rebuter une bigote. Était-ce pour tout cela que Munch voyait sa famille comme prédestinée à disparaître par des morts successives…
… Lui est mort assez vieux, à 81 ans ! (1863-1944)
Il était pourtant malade depuis le début, un drôle de truc...
- « Stop ! La vie sentimentale et affective des artistes peut ne pas avoir d’importance, seules leurs œuvres nous intéressent. »
Oui mais, ici, précisément, c’est la vie d’Edvard qui est le point d’encrage de sa peinture, il le dit lui-même avec beaucoup de lucidité ;
"Je ne voudrais pas rejeter ma maladie, car mon art lui est pour beaucoup redevable. "



Laideur.


Avec Munch et Bacon, nous sommes loin de « l’homme mesure de toute chose » de la Renaissance.
C’est pour cette raison que tous les peintres que l’on appelle les Expressionnistes se revendiquent plus des chairs en putréfaction du Christ de Grünewald que des peintures hypocrites d’un Raphaël qui ne peint que les belles courbes des beaux corps aux belles chairs.
Raphaël et Grünevald sont pourtant contemporains, l’un appartient encore au Moyen-âge et l’autre est dans la Haute Renaissance. Pour les Expressionnistes, l’un ment, l’autre pas.

Les Expressionnistes conçoivent, que l’homme peut souffrir, que ça lui arrive assez souvent, alors l’artiste peut et doit s’écarter de la beauté.
Ça se fait depuis longtemps en littérature et en poésie, Baudelaire et Rimbaud ont su écrire des vers rebutants. Pourquoi les images hésitent-elles à peindre la vie misérable ?
Pour Munch c’est un manque d’honnêteté que de ne pas montrer la pauvreté, la souffrance humaine, la colère, etc.
Une peinture n’a pas pour unique but de finir belle sur le mur du salon d’un bourgeois.
Le principal apport des peintures expressionnistes, c’est cette laideur de la vie qui doit être montrée.
On peut peindre déplaisant parce que tout n’est pas beau dans la vie ; c’est Raphaël contre Grünewald.

Bacon fait pire que Munch, il suspend l’homme au crochet du boucher. Il s’étonne toujours de ne pas être lui-même suspendu à l’étal du boucher quand il s’y rend.

Bacon, lui s’intéresse plus à la bouche qui crie et plus précisément à la chair de la bouche qui crie :
« J’aime le luisant et la couleur qui viennent de la bouche et j’ai toujours espéré être capable de peindre la bouche comme Monet peignait un coucher de soleil. » Francis Bacon.

C’est le cri d’un pape hurlant, bouche ouverte, cadré au centre de la toile, le tableau le plus célèbre de Francis Bacon ; cette peinture qui n’est tout de même pas prête de détrôner « le cri » de Munch !
Bacon a peint une variation inspirée du vrai « Portrait d’Innocent X », un vrai pape peint par Vélasquez au 17ème.



Munch a fait une cinquantaine de variantes de son célèbre tableau, des variantes qui se ressemblent toutes. Celles qu’il a reproduites en lithographie en noir et blanc sont aussi fortes que le modèle de référence en couleur.
Bacon n’a pas reproduit son Pape à succès, il l’a varié, il a décliné le cri et la chair de toile en toile, le cri humain et la chair sont devenus son leitmotiv, le cri revient souvent et de manière assez différente.

Échec.


Le pape de Bacon est dans la situation d’un condamné à mort sur son saint-siège transformé en chaise électrique, c’est scandaleux.
Le vrai pape n’aurait pas aimé ce portrait !
On pense aussi à un pape qui crierait sa douleur dans un studio d’enregistrement assis sur un siège éjectable.
Innocent X aurait peut-être aimé la portée universelle de son cri audio-visuel si tant est que l’on puisse y entendre sa foi.



Bacon peintre strie la toile écrue d’une pluie de plis bruns et jaunes, et il fonce la bouche ouverte qui devient un trou noir. Pour la bouche, Bacon fait part de son échec;
« il aurait fallu, traiter cette béance comme un soleil couchant de Monet ».
…Semi échec, car Bacon est un spécialiste des couleurs comme le cramoisi, les garances, l’abricot, les pourpres, l’indigo, il en couvre souvent les trois quarts de la toile et tant pis si la couleur n’est pas bourrée au fond de la bouche, l’effet est garanti : le drame de l’existence humaine, est le thème central de la peinture de Francis Bacon.
Ce fut aussi l’obsession de Picasso avec ses corps destructurés. Bacon a toujours reconnu l’influence exercée sur lui par Picasso.




« J’ai espéré faire un jour la peinture la meilleure du cri humain. Je n’en ai pas été capable. » Francis Bacon.



Il dit aussi à peu près ceci ; « Ce n’est que de la peinture, il n’y a pas de chair pas de sang sur mes toiles.»…Sans doute pour rassurer.
Et tout le monde admet que la photographie d’un homme tuméfié est plus désagréable qu’une peinture de Bacon parce que nous savons que cet homme a bien été face à l’objectif. L’objectif ment moins que la peinture, mais il sait mentir aussi.